Déposé le 30/10/2013 à 14h48
Il y a bientôt 1 an que nous avons été contraints de placer notre papa âgé de 84 ans dans une maison de repos et de soin étant donné l'aggravation de sa maladie d'Alzheimer et les profondes perturbations de comportement qu'elle engendrait nuit et jour, intenables pour notre maman du même âge.
Depuis cette époque, pas un jour n'a défilé sans que l'un ou l'autre d'entre nous, sa femme, ses cinq enfants et sa famille proche, ne passe l'après-midi auprès de lui.
Sa souffrance est évidente et quotidienne. Celle de son épouse bien évidemment aussi. Malgré toute l'humanité et les soins prodigués par l'institution où il se trouve, il nous est pénible à tous de voir notre papa qui fut toujours si actif, sportif et positif, contraint à une position figée, voué à l'inactivité et la dépendance la plus totale, à l'humiliation de cette maladie qui vous dépouille de tout, jusqu'à la pensée, la mémoire, la raison, la maîtrise des actes et des paroles.
Sa détresse, ses cris récurrents et ses « appels à partir», nous rappellent qu'il n'est pas question de « tuer notre père », mais d'augmenter la dose de calmants quand son agitation est ingérable par lui-même ou son entourage.
Certains parmi ses proches et plus lointains sont tentés de se demander ce qu'il y a encore d'humain dans cette vie.
Ce qu'il y a d'humain, c'est tout simplement la personne qui est là, et qui sera là jusqu'à son dernier souffle. Et si son corps se dégrade, il y a des capacités qui semblent comme demeurer ou d'autres prendre le relais ou s'épanouir. Notre papa qui pensait par exemple toujours aux autres, à demander comment ils allaient, à ne pas vouloir déranger, à remercier, garde les mêmes paroles et réflexes au cœur de la maladie pourtant proche du stade final. Les gestes et paroles de tendresse sont parfois bouleversants. Le développement de sa sensibilité spirituelle est également surprenant, alors que notre papa n'était pas un grand mystique jusque là. Un jour de grande agitation où je l'emmenais en voiturette dans la chapelle de sa maison de repos, alors qu'il est déjà privé de la vue et complètement incohérent dans ses propos, il me dit, à peine entré : « c'est ici que je veux aller ». Comme s'il goûtait en ce lieu le ciel qu'il a manifestement hâte de rejoindre. Un autre jour, alors qu'il était complètement abattu dans son fauteuil, il me murmura : « moi aussi je veux une hostie ». Je n'avais pas remarqué qu'à l'autre extrémité de la salle commune, une petite religieuse distribuait tout discrètement la communion à un malade. Sans même l'apercevoir, puisqu'il ne voit quasi plus rien et que ses yeux étaient fermés, ni l'entendre, mon papa avait manifestement perçu que le Christ était entré dans la salle commune et avait désiré communier, ce qui n'était pourtant pas son habitude les années de bonne santé !
Mais au-delà de ces multiples petits rayons de lumière qui jaillissent des ténèbres de sa maladie, sa souffrance, sa croix, portée par son épouse et ses enfants, eux-mêmes portés par leurs conjoints et enfants, aura uni chacun dans une affection profonde comme jamais auparavant.
Plus encore, sa souffrance a fait jaillir chez chacun des trésors de tendresse, a bouleversé nos priorités, nos limites d'agenda, de patience, de fatigue, etc. Notre prochain le plus pauvre des pauvres est pour nous notre papa. C'est lui qui nous appelle à plus d'humanité. Qui nous provoque à plus de générosité. Qui rend notre âme plus sensible à la détresse humaine et plus aimante pour la soulager très simplement par un regard, une caresse, une présence aimante qui humanise les maladies les plus inhumaines.
Notre père nous a donné la vie. Nous n'allons tout de même pas lui donner la mort ! Ni entrer dans le jeu machiavélique de ceux qui tuent par gentillesse, par charité chrétienne ou compassion! Une société qui se croit permis de donner la mort « par humanisme », est une société qui creuse sa propre tombe. Comment le personnel « médical » appelé à guérir, comment ces pères et mères de famille qu'ils sont souvent, peuvent-ils dormir en paix après avoir posé un acte meurtrier ... par bonté et compassion, acte bien plus perturbateur pour une société que quand il est commis par haine ou folie !
Pour notre part, nous donnerons jusqu'au bout, chacun à sa manière, notre vie à notre papa, pour rendre la sienne plus douce et humaine. Mais en définitive, c'est lui qui nous offre encore la vie, qui nous apprend la vie et l'amour. L'amour qui est de nous donner, de donner de notre temps, gratuitement, à ceux dont l'existence est suspendue à la nôtre et d'apprendre par eux à devenir dépendants de Dieu, clé qui seule livre accès à son Royaume.