Déposé le 18/10/2013 à 14h28
Quelle est cette urgence qui justifie chez nous l'activisme sur un sujet aussi délicat tandis qu'en France, le Comité national représentant toutes les tendances politiques ou philosophiques, exige un large débat public ? Une opinion de Drieu Godefridi, Docteur en philosophie, juriste et dirigeant d'entreprise.
Curieuse frénésie d'un quarteron de sénateurs libéraux qui semblent vouloir à tout prix "étendre" le champ d'application de la loi sur l'euthanasie. N'y a-t-il pas d'autres terrains législatifs à labourer ? Quelle est cette urgence qui justifie l'activisme de ces parlementaires, sur un sujet aussi délicat ?
Il y eut d'abord l'euthanasie des enfants, que l'on nous a présentée comme une simple extension de la loi existante (2002), une précision, comme une évidence, alors qu'elle aurait fait basculer notre rapport collectif à l'enfance. Comment ne pas voir, en effet, la différence de nature qui existe entre un adulte qui décide de mourir et un enfant, juridiquement incapable en toutes choses depuis la nuit des temps, auquel le libraire est légalement tenu de faire les gros yeux s'il tente d'acheter un billet de Lotto, mais qui déciderait tranquillement "Je me tue !", comme l'écrivit Montherlant au moment de mettre fin à ses jours ?
Le "Je" est ici une vue de l'esprit, car c'est finalement un médecin qui aurait dû constater "oui, tu as la capacité de te tuer, mon petit". On voit le paradoxe de cette prétendue autonomie de l'enfant et les dérives qu'elle pourrait engendrer. Suite à la mobilisation d'élus, notamment libéraux et de gauche, ce projet a fait pschitt : il est renvoyé après l'été, autant dire aux calendes grecques, vu ce que sera la proximité des élections de 2014.
Il en fallait davantage pour brider l'enthousiasme de ces sénateurs. Surgit dans la torpeur estivale une nouvelle proposition (datée du 3 juillet 2013, et toujours présentée comme ne visant qu'à "préciser" la loi de 2002), selon laquelle toute personne devrait pouvoir stipuler dans un document qu'elle souhaite qu'on mette fin à ses jours si elle se trouve "dans tel ou tel état physique et/ou psychique décrit dans sa déclaration", tel que "le fait d'être déconnecté de la réalité, de n'être plus conscient de son environnement et de ne même plus reconnaître ses proches, de ne plus se nourrir seul, de se trouver dans un état grabataire" et, plus généralement, n'importe quel état, les auteurs de la proposition n'ayant prévu aucune limite d'aucune sorte dans leur texte (on devine les délices du Conseil d'Etat, si les sages avaient à se pencher sur cette belle prose). En réalité, cette proposition n'élargit pas la loi sur l'euthanasie, elle légalise la mort à la carte.
"Vu le caractère délicat de cette déclaration anticipée particulière, elle ne sera jamais appliquée (sic) à la légère" : le problème étant que si la personne a stipulé, trente ans auparavant (car les auteurs de la proposition ne fixent, là encore, aucune limite de temps : toujours cette idée qu'il faut s'en remettre à la seule conscience du médecin) qu'elle désire qu'on mette fin à ses jours en cas de "perte de ses repères" ou autre "dépendance à autrui", bon courage aux médecins qui devront poser leur diagnostic ! Les candidats à la mort décriront dans l'écrasante majorité des cas des "états" qui ne sont susceptibles d'aucun diagnostic médical objectif (contrairement au coma, par exemple). En dernière analyse, c'est donc bien le médecin qui sera le souverain décideur de la mort du patient.
"Les auteurs n'ignorent pas le risque de dérive économique soulevé par certains dans la mise en place de cette nouvelle législation, expliquent-ils. Mais ils ont décidé de faire confiance au corps médical", c'est-à-dire à eux-mêmes dans le cas du sénateur Jacques Brotchi, le sénateur à l'origine de cet enthousiasme libéral pour l'euthanasie, qui est médecin.
"Faire confiance au corps médical" : est-ce à dire que, contrairement aux autres corps de métier, l'ordre des médecins ne serait affecté d'aucune dérive ? Que ne s'y trouverait aucune brebis galeuse ? Etrange présomption, dès lors qu'un reportage récent de la RTBF nous montrait des médecins qui, à Bruxelles, délivrent des certificats médicaux en 30 secondes pour 5 euros... Sourions à la pensée de ce que de tels médecins seraient prêts à signer pour 200, ou 500 euros... Les chiffres montrent que peu de médecins acceptent de pratiquer l'euthanasie et probablement seraient-ils moins nombreux encore à l'accepter sous cette nouvelle forme, qui souffre d'une légère contrariété avec le serment d'Hippocrate : "Je ne remettrai à personne du poison, si on m'en demande, ni ne prendrai l'initiative d'une pareille suggestion."
Déjà lors du débat sur l'euthanasie des enfants, le sénateur Brotchi préférait que ne soit fixée aucune limite d'âge, et que le médecin puisse, le cas échéant, administrer l'euthanasie à l'enfant contre l'avis des parents : bref, le médecin-Dieu dans toute sa redoutable splendeur, l'arbitre ultime de la vie et de la mort, qui statue en son âme et conscience, sans aucun risque de voir sa responsabilité légale engagée. C'est bien le même schéma d'arbitraire parfait et d'impunité que l'on retrouve dans cette nouvelle proposition.
Tandis qu'en France, le Comité national d'éthique, représentatif de toutes les tendances politiques ou philosophiques, vient de se prononcer contre une introduction de l'euthanasie en droit français, en exigeant un large débat public, une minorité agissante tente, chez nous, de faire sauter tous les verrous de la loi de 2002, pourtant présentés à l'époque comme des sanctuaires inviolables de la sécurité juridique et de l'humanisme. Ce contraste ne devrait-il pas inciter à la réflexion, plutôt qu'à la précipitation ?
Drieu Godefridi, Docteur en philosophie (Sorbonne), juriste et dirigeant d'entreprise.